Chine : un garçon à tout prix, une population « à améliorer »…


Pour terminer l’étude des manifestations eugénistes de nos jours, nous avons décidé de nous intéresser tout particulièrement à l’exemple de la Chine, pays dans lequel nous vivons.

Tout comme l’Inde, la Chine est un pays extrêmement peuplé qui souffre du même déséquilibre démographique. Les raisons sont également d’origine culturelle : la préférence de donner naissance à un garçon est prédominante dans la culture chinoise depuis plusieurs siècles.

Dans cet extrait vidéo datant de mars 2010, Anchee Min, écrivain américano-chinoise célèbre, admet sa déception lorsqu’elle a appris être enceinte d’une fille. Sa conclusion est positive et devrait servir d’exemple pour de nombreuses femmes, mais ses paroles illustrent bien la mentalité chinoise qui a encore du mal à évoluer aujourd’hui.

Le désir d’avoir des garçons est un phénomène social, qui s’exprime relativement de la même manière qu’en Inde, à travers des infanticides et des foeticides féminins depuis la mise sur le marché du diagnostic prénatal. Mais un autre élément est à prendre en compte pour ce qui est de l’élimination des petites filles en Chine : ce phénomène a été accentué avec la politique de l’enfant unique lancée en 1979. Il s’agit d’une réaction du gouvernement face à la croissance incroyable de la population chinoise dans les années 50 à 70. Après la création de la République Populaire de Chine, Mao Ze Dung avait encouragé les femmes à avoir le plus d’enfants possibles. Le pays a ainsi vu sa population augmenter de plus de 350 millions en 20 ans ! La politique de l’enfant unique a permis un contrôle des naissances, mais a également engendré de nombreux problèmes, et a notamment accentué le déséquilibre homme/femme.

caricature manque femmes chine

Les couples souhaitent en priorité avoir un garçon, pour assurer la continuité de leur famille. Lorsqu’il leur est interdit d’avoir plus d’un enfant, les petites filles n’ont plus aucune chance : l’impossibilité pour les couples chinois d’avoir plus d’un enfant a conduit à des milliers d’infanticides et d’avortements de fœtus féminins.


sex ratio chine

L’immense pays de plus d’1,3 milliard d’habitants a un sex-ratio très déséquilibré : en 2014, 117 garçons naissent pour 100 filles.

De nos jours, on estime que 18 millions d’hommes chinois ne seront pas en mesure de se marier, pour cause de manque de femme, et ce chiffre doit encore augmenter dans les prochaines années.

Les studios Taiwanese Next Media Animation illustrent les conséquences du déséquilibre démographique pour les jeunes hommes chinois avec la chanson « No girls born in China anymore ».

viellissement population chine

L’un des problèmes les plus préoccupants aujourd’hui en Chine est aussi le vieillissement inquiétant de la population : le taux de fécondité est tombé à 1,5 enfant par femme, ce qui est insuffisant pour assurer le renouvellement des générations. Les personnes nées avant la politique de 1979 vieillissent, et les jeunes ne sont pas assez nombreux pour assurer leurs retraites.

Depuis plusieurs années, la Chine a donc progressivement assoupli sa politique de l’enfant unique, qui a d’après les estimations permis d’éviter 400 millions de naissances. Depuis 1984, les habitants des campagnes sont autorisés à avoir un deuxième enfant si le premier est une fille. Des exceptions ont ensuite existé pour les couples dont les deux membres étaient enfants uniques. En décembre 2013, les couples chinois ont été autorisés à avoir deux enfants si l’un des deux parents est un enfant unique.

Malgré ces assouplissements, on constate que les jeunes couples n’ont spontanément qu’un seul enfant. Les raisons sont économiques, élever un enfant coûte cher en Chine, surtout les frais de scolarisation ; mais aussi morales : nombreux sont les couples chinois qui affirment s’être « habitués » à la politique de l’enfant unique, ou ne pas se sentir prêts pour un deuxième enfant. Tous enfants uniques, ils ne savent pas comment élever un deuxième enfant et sont maladroits avec l’éducation psychologique des enfants dans une famille nombreuse. L’idée de n’avoir qu’un seul enfant est désormais ancrée dans la mentalité chinoise. Le baby-boom tant attendu par les démographes chinois ne semble pas si proche…

Une forme d’eugénisme est ainsi à l’œuvre en Chine, puisque de nombreux parents ont pratiqués et pratiquent encore aujourd’hui une sélection sur les futurs bébés (ou nouveau-nés) afin de garder en priorité les enfants de sexe masculin, ce qui entraine un fort déséquilibre entre les populations d’hommes et de femmes. Mais le cas d’eugénisme en Chine dépasse ce déséquilibre.

Comme nous l’avons vu précédemment, la Chine a voté en 1995 une loi eugénique: la « loi sur la santé de la mère et de l’enfant ». Elle permet de limiter au maximum les maladies génétiques graves en imposant le diagnostic prénatal et en interdisant la procréation aux personnes porteuses de maladies génétiques, diagnostiquées par examen prénuptial. Destinée par le gouvernement chinois à « améliorer la qualité de la population », ce qui est une formulation typiquement eugénique, cette loi est très controversée dans le monde occidental. Le texte de la loi fait référence au « yousheng », qui signifie « naissance saine ». D’après le Hong Kong Standard du 28/08/96, des experts chinois en génétique ont affirmé la nécessité de « ressources humaines de qualité » à la modernisation du pays, alors que les tendances semblaient mener à une « qualité de population inférieure ». Bien que les autorités chinoises n’acceptent pas la qualification eugénique, la Chine mène donc bien une politique guidée par une idéologie eugéniste.

Le pays s’appuie sur des programmes de recherches et d’innovation en matière de génétique et de biotechnologies. Grâce à des moyens financiers puissants, un laboratoire de génétique a été créé en 1999 : le Beijing Genomics Institutes. D’après le bulletin du 20 décembre 2013 du ministère français des affaires étrangères et du développement international, une étude dirigée par le chercheur Zhao Bo Wen a commencé depuis quelques années sur le QI (quotient intellectuel), un phénotype relativement héréditaire. Le séquençage de l’ADN de 1000 personnes au QI particulièrement élevé a notamment été entrepris en 2013. Le but de ces recherches est de comprendre l’hérédité du QI, ce qui pourrait permettre à la Chine d’améliorer significativement le QI de sa population. Quoi de plus eugéniste ?

politique eugénique chine

Interview

Afin d’illustrer notre travail sur les manifestations eugénistes en Chine, nous avons interviewé un professeur de chinois à Wuhan, Madame Y, de manière à avoir son point de vue sur la situation actuelle de son pays.


Préféreriez-vous avoir une fille ou un garçon ? Pourquoi ?

Selon moi, je préfère avoir un garçon. Mais je ne sais pas exactement pourquoi… Je me suis dit : « Je suis une fille donc j’aimerais avoir un garçon ». Mais pour mon mari, c’est le contraire, il aimerait bien avoir une fille.

Pensez-vous que la volonté d’avoir des garçons en Chine est encore une réalité ?

A la campagne, c’est encore quelque chose de très important pour la famille d’avoir un garçon parce que les parents ne peuvent léguer leurs terres qu’à un garçon. Si c’est une fille, la famille perd ses terres. Donc oui, à la campagne c’est encore vrai, mais dans les villes, en général je pense ce n’est plus la réalité, ça nous est égal.

Aujourd’hui, il est possible de sélectionner les gènes des embryons dans le but de choisir le sexe de l’enfant. Pensez-vous que si cette technique de sélection était accessible à l’ensemble de la population chinoise, on verrait le nombre de naissances masculines encore augmenter ?

Autour de moi, il n’y a pas vraiment ce phénomène de désir d’avoir un garçon. Tout le monde attend la surprise car on ne connaît pas le sexe de l’enfant avant la naissance. En effet, en Chine, une loi interdit aux médecins de donner le sexe de l’enfant car avant, si c’était une fille, la mère préférait avorter ou abandonner l’enfant. Mais globalement à Wuhan, et dans les autres grandes villes, on ne se pose pas vraiment cette question de savoir ce qui est mieux…

D’après vous, la politique de l’enfant unique renforce-t-elle la volonté de donner naissance à un garçon pour les couples chinois ?

Oui, totalement. C’est vraiment une réalité des années 80-90 et même du début du XXIème siècle.

En Chine, la population est-elle consciente des dangers que peuvent entrainer l’augmentation des naissances de garçons ? Et est-elle également consciente de l’importance du nombre d’infanticides et de foeticides réalisés à l’encontre des filles depuis 1980 ?

J’ai déjà vu des reportages sur ce sujet, car en raison du nombre plus important de garçons que de filles, beaucoup d’hommes ne trouvent pas de femmes… Et je ne sais pas si c’est une conséquence, mais en ce moment en Chine, il y a de plus en plus d’homosexuels. Avant, les gens se cachaient parce que ce n’était pas bien vu d’être homosexuel, depuis quelques années, c’est presque devenu une mode.

Et la population chinoise est-elle réellement consciente que de nombreuses filles ont été tuées à la naissance ou c’est un sujet dont on ne parle pas trop ?

On peut en parler, mais c’est assez rare… Les reportages donnent des chiffres, donc ce n’est pas caché. Mais on ne réalise pas trop que si un homme ne trouve pas de femme c’est sûrement à cause de ça. On se moque plutôt de ce fait, en disant « Fais attention, si tu ne travailles pas bien, tu n’auras pas de femmes » par exemple. Mais on a les reportages, on connaît les chiffres. Ces décès ne sont pas cachés.

L’eugénisme est-il un thème connu en Chine ?

Non, je ne crois pas…

Que savez-vous de la loi chinoise de 1995, intitulée « Loi sur la Santé de la Mère et de l’Enfant » ?

Je ne sais pas exactement de quelle loi vous parlez.

Cette loi interdit la procréation aux personnes porteuses de maladies génétiques graves et héréditaires. Elle impose à ces personnes d’être stérilisées, d’avoir recours à une contraception de longue durée ou un avortement en cas de grossesse.

Oui, vous voulez dire, si la mère a une maladie qu’elle peut donner à ses enfants, elle n’a pas le droit d’en avoir. Alors oui, cette loi existe.

D’après les membres du gouvernement, cette loi a pour but d’ « améliorer la qualité de la population », est-ce que cela vous choque ?

Je ne sais pas si c’est améliorer la qualité de la population, c’est plutôt éviter des malheurs aux gens. Je ne sais donc pas si c’est bien ou pas bien de respecter cette loi, mais en cas de maladie très grave, on ne veut pas la transmettre à son enfant… Si elle est appliquée pour cette raison je trouve que la loi n’est pas injuste.

Il existe en Chine des programmes de recherche génétique, notamment sur le quotient intellectuel. Une fois ces études terminées, les chercheurs ainsi que le gouvernement voudraient ainsi « améliorer le Q.I. de la population » chinoise. Qu’en pensez-vous ?

Ah bon ?! Je ne savais pas. Et je ne vois pas comment on pourrait faire cela…

En fait, le Q.I. est relativement héréditaire. Le gouvernement pourrait par exemple encourager les personnes ayant un Q.I. plus élevé à avoir beaucoup d’enfants pour avoir une population avec «une intelligence supérieure ».

Peut-être que le gouvernement souhaite cela, mais de nos jours, c’est le contraire ! Ici, les gens qui font plus d’études et qui ont un QI plus élevé, comme les professeurs d’université ou les ingénieurs, ne veulent pas beaucoup d’enfants en général. En revanche les paysans veulent plus d’enfants pour garder leurs terres et avoir de l’aide dans les champs. Même si on autorisait les citadins à avoir plus d’enfants, ce n’est pas sûr qu’ils en auraient plus. Après la modification de la loi de l’enfant unique qui autorise un couple à avoir deux enfants si les deux conjoints sont enfants uniques, on a remarqué qu’il n’y a pas eu une grande augmentation des naissances. Donc je pense que même si aujourd’hui le gouvernement veut changer certaines choses, ce n’est pas la réalité. Peut-être qu’ils veulent nous encourager, mais les gens ne font pas attention…

Pour conclure, pensez-vous que l’eugénisme et un certain contrôle des naissances soit bénéfique pour l’humanité, ou croyez-vous qu’il faille laisser les choses se faire naturellement ?

La question n’est pas très simple ! C’est difficile d’y répondre… Dit comme cela, je préfère évidemment laisser faire la nature. On a besoin de tout le monde. Il faut des gens plus intelligents pour créer de grandes choses et puis nous avons également besoin des gens qui vont nettoyer les rues. Ce n’est pas une question de niveau de Q.I. ou quoi que ce soit, c’est juste que chacun a son travail, chacun est différent et chacun a sa place. Je préfère travailler dans les langues, d’autres préfèrent les mathématiques, c’est comme ça, tout le monde est différent. Il faut avoir le droit de garder sa différence.

Merci beaucoup.


  • Interprétation 

Les réponses que Madame Y nous a données ont soulevé chez nous certaines questions. Afin de bien comprendre la portée de ses propos par rapport à notre étude, il nous a paru nécessaire d’interpréter ses réponses en fonction d’un certain contexte.

Tout d’abord Madame Y nous a dit préférer avoir un garçon, mais pas pour des raisons culturelles comme celles qui ont poussé de nombreux chinois à abandonner leurs petites filles. Nous avons supposé que cela était lié à son milieu social plutôt favorisé. Elle a en effet étudié le français à l’université, ce qui en Chine est réservé aux bons élèves et très bien vu. Elle fait donc partie d’une catégorie cultivée de la population. Cela confirme ce qu’elle a dit ensuite : on peut supposer que les mentalités vis-à-vis du désir d’avoir un garçon évoluent dans son entourage, mais pas pour l’ensemble de la population.

Nous avons ensuite constaté de la part de Madame Y une réponse rapide sur les dangers d’une population masculine trop importante. Elle nous a dit que cela est plutôt sujet de moqueries en Chine, ce qui semble montrer que la population n’en réalise pas les causes et les dangers. De plus, il nous a fallu reposer la question sur la prise de conscience de l’importance des infanticides et foeticides ayant eu lieu en Chine, ce qui prouve que c’est un sujet délicat. « C’est assez rare » d’en parler, nous a-t-elle dit. Nous avons pu remarquer qu’elle a insisté sur le fait que ces événements ne sont pas cachés : « on a les reportages, on connaît les chiffres ». Cette réponse nous a fait penser que la population chinoise était peut-être mal informée à ce sujet, à cause de l’importante censure. En effet, il semble que les conséquences et la gravité du « génocide féminin » ne sont pas bien mesurées en Chine.

A propos de la loi eugénique en Chine, il nous a semblé que Madame Y n’avait pas d’opinion très tranchée : puisque la loi existe, il faut l’appliquer. De plus, elle a plutôt défendu les aspects positifs de cette loi et a rectifié l’idée que nous nous en faisions lorsque nous avons parlé des stérilisations, contraceptions, et avortements forcés, ce qui n’a pas paru la choquer : « vous voulez dire, si une mère a une maladie qu’elle peut donner à ses enfants elle n’a pas le droit d’en avoir ». Elle a également corrigé notre expression « améliorer la qualité de la population » : selon elle, empêcher la naissance d’enfants handicapés constitue un moyen d’ « éviter des malheurs aux gens ». Cette loi constitue pourtant une privation de libertés individuelles puisque les individus n’ont pas le choix : ils sont interdits de mettre au monde un enfant handicapé. Mais le manque de libertés individuelles en Chine depuis longtemps et dans des domaines variés conditionne la population à considérer cela normal. Nous avons donc pu penser qu’à ce propos comme pour de nombreux autres sujets, la population chinoise est influencée par ce que le gouvernement lui affirme.

D’ailleurs, nous avons pu constater un certain paradoxe dans la dernière réponse de Madame Y sur la question d’un contrôle des naissances bénéfique ou de la nécessité de laisser faire la nature. D’après elle, « chacun est différent et chacun a sa place ». Pourtant, elle semble approuver la loi eugénique de 1995 : ainsi, tout le monde a « le droit de garder sa différence », mais pas de mettre au monde un enfant handicapé

Lire la suite : Conclusion : vers un retour de l’eugénisme ?